Eunuques – ces destins étranges dans l’histoire féodale du Vietnam

Chaque fois que je vais à Hué, si possible, je rends visite à la pagode Từ Hiếu – le lieu où le grand maître zen Thích Nhất Hạnh a commencé sa vie monastique en 1942, et aussi l’endroit où il a passé les dernières années de sa vie avant son décès. Mais peu de gens savent que cet endroit abrite aussi un cimetière très particulier – unique au Vietnam – réservé exclusivement aux eunuques de la dynastie des Nguyễn. Des hommes ayant vécu toute leur vie dans l’ombre du pouvoir royal.

Thich Nhat Hanh
Thich Nhat Hanh

✂️ Eunuques – Des destins cachés derrière les murs du palais

Dans l’histoire féodale du Viêt Nam, les eunuques formaient une classe indispensable à la vie du palais intérieur. Ils n’étaient pas seulement les serviteurs du roi ou les surveillants des concubines, mais aussi les gardiens de secrets et les garants de l’ordre au sein du harem impérial.

Leur origine se divisait en deux types :

  • Eunuques de naissance : nés sans organes génitaux. Sous la dynastie des Nguyễn, cela était considéré comme un bon présage, et les villages d’où ils venaient étaient exemptés d’impôts.
  • Castration volontaire : souvent de jeunes enfants, envoyés par leur famille ou se portant volontaires pour entrer au service du palais. L’opération de castration – retrait des testicules, voire de tout l’appareil génital – se faisait dans des conditions extrêmement douloureuses, sans anesthésie, avec un risque de décès élevé.

Une fois guéris, ils entraient au palais, y apprenaient les rituels et servaient toute leur vie, sans épouse, sans enfant, sans famille – vivant dans le faste de la cour mais dans une solitude profonde jusqu’à la vieillesse.

Un rôle particulier dans la cour royale

Parce qu’ils étaient exempts d’attachements personnels, les eunuques étaient souvent considérés comme des serviteurs d’une loyauté absolue. Ils :

  • Servaient le roi et la famille royale
  • Géraient les affaires du palais intérieur
  • Faisaient office d’intermédiaires dans les relations sensibles à la cour

Mais à cause de cela, ils n’appartenaient ni au monde intérieur ni au monde extérieur. Une fois partis du palais ou devenus vieux, beaucoup se retrouvaient sans refuge. Quelques rares chanceux furent accueillis à la Résidence des Eunuques.

Pagode Từ Hiếu – Le lieu de repos des vies silencieuses

En 1848, l’eunuque Châu Phước Năng – qui servit sous le règne de l’empereur Tự Đức – avec plusieurs collègues, consacrèrent tous leurs biens et leurs efforts à la rénovation de la maison Thảo Am Đường (ancien An Dưỡng Am fondé par le maître zen Nhất Định). Ils espéraient y trouver un refuge pour leur vieillesse et un lieu de sépulture digne.

L’empereur Tự Đức, ému par la piété de Nhất Định, donna à ce lieu le nom de pagode Từ Hiếu – un endroit réunissant piété filiale et compassion.

Au milieu de la forêt de pins paisible se cache un petit cimetière – dernier lieu de repos de centaines d’eunuques de la dynastie des Nguyễn. Ceux qui ont maintenu l’ordre dans le harem impérial reposent désormais dans le son des cloches du temple et des prières bouddhistes. Il s’agit du seul cimetière d’eunuques encore existant au Vietnam.

Un grand eunuque – Lý Thường Kiệt

Peu de gens savent que Lý Thường Kiệt – célèbre général et auteur du poème patriotique Nam Quốc Sơn Hà – était un eunuque. Né sous le nom de Ngô Tuấn, il avait fondé une famille avant d’entrer au service du palais. Cela ne l’a pas empêché de devenir :

  • Le général ayant dirigé la contre-offensive contre les armées Song en 1075
  • Un héros national avec sa victoire sur la rivière Như Nguyệt

Lý Thường Kiệt est la preuve que, même dans les circonstances les plus dures, la loyauté et le talent peuvent permettre à un homme de dépasser son destin.

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